Challengées par les entreprises privées qui s’engagent en faveur de l’intérêt collectif, les organisations publiques doivent retrouver leur raison d’être, incarner l’intérêt général et embarquer les agents publics dans leur transformation.
Moderniser l’action publique : l’idée n’est pas neuve, mais elle n’a pas toujours été prise par le bon bout. Trop souvent fondées sur une vision gestionnaire, les réformes de ces quinze dernières années – de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) à la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM) – ont toutes été appréhendées sous l’angle de la rationalisation et de la réduction de la dépense publique. Rappelons-nous, en 1997, de la métaphore du « mammouth » qu’il fallait « dégraisser ». Une belle illustration de ce que l’on appelle, dans la conduite du changement, un irritant.
Oui, la transformation publique est nécessaire : la dette publique est une réalité, le manque de lisibilité et l’enchevêtrement de certaines compétences également. D’autres phénomènes majeurs imposent à l’administration d’évoluer : le nouveau paradigme environnemental, la révolution digitale, l’intelligence artificielle, la participation citoyenne…
Or, bonne nouvelle, 81% des agents estiment que la transformation de l’action publique est importante. Pourtant, près d’un sur deux perçoit négativement la mue qui s’opère dans leur administration[1]. Contradiction d’une corporation trop attachée à ses acquis pour accepter le changement ? Pas sûr. Ce jugement critique témoigne en réalité d’une volonté des agents d’être impliqués dans la démarche, et de comprendre dans quelle mesure la transformation sert leur mission d’intérêt général. Se sentant peu impliqués et écoutés, ils ne voient en effet ni les objectifs liés à cette transformation (57%), ni les bénéfices pour les usagers (63%) mais une volonté de faire des économies (78%)[2].
Le problème n’est donc pas le bien-fondé de la transformation, mais le sens qu’on lui donne (pourquoi) et les moyens de sa mise en œuvre (accompagnement). On touche là aux deux leviers essentiels d’une transformation réussie.
Redonner du sens à l’action publique, pour donner du sens à la transformation
Le changement doit être envisagé à travers sa finalité. L’enjeu est à la fois de donner du sens à la transformation, mais aussi de redonner du sens à l’action des agents. Dans le secteur public, la finalité est claire : assurer un service d’intérêt général. Pourtant, nombreux sont les agents, y compris les dirigeants et les managers, qui se posent aujourd’hui la question du sens de leur action. Nombreux sont ceux qui ne se projettent plus dans une vision à long terme. A l’heure où les entreprises du secteur privé se dotent d’une raison d’être, allant jusqu’à modifier leurs statuts pour inscrire durablement leur engagement au profit du « bien commun », les organisations du secteur public ne doivent-elles pas, de toute urgence, redéfinir et partager leur vision et leur ambition au service de l’intérêt général ? N’est-ce pas le meilleur moyen de donner du sens à leur propre transformation, et fédérer en interne autour d’un projet commun ? Bien qu’elles soient dotées, contrairement aux entreprises privées, de compétences obligatoires et de ce que l’on pourrait appeler une « raison d’être réglementaire », elles gagneraient beaucoup à rappeler que c’est bien l’intérêt collectif et uniquement l’intérêt collectif qui guide leur action. Et d’éclairer cette action à l’aune des grands enjeux sociétaux, sociaux, territoriaux, économiques ou environnementaux. Un éclairage qui vaut bien sûr pour leurs cibles externes, les bénéficiaires et usagers des services publics. Mais aussi, on l’oublie trop, pour leurs cibles internes. Expliquer pourquoi il est nécessaire de changer, à quelles problématiques cela répond, dans quel projet global cela s’inscrit, en quoi cela redonne de la valeur à leur mission d’intérêt général : telles sont les conditions pour « embarquer » les agents, au premier rang desquels les managers - dont le rôle est ici central - dans la transformation de leur propre organisation.
Libérer l’administration pour libérer son potentiel d’innovation
Mais donner du sens et fixer un cap ne suffit pas. Même quand la feuille de route est claire et l’envie de servir l’intérêt général bien ancrée, force est de constater que les organisations publiques sont entravées dans leur action par de nombreuses contraintes. Des contraintes réglementaires et statutaires bien sûr, mais aussi des contraintes culturelles très ancrées : organisations silotées, manque de transversalité dans la définition et le pilotage des projets, lourdeurs des processus de prise de décision, faible culture de l’évaluation, gestion patrimoniale des bureaux… Globalement, l’administration manque de souplesse et d’agilité pour se transformer.
Dans ce contexte, la transformation organisationnelle et managériale constitue un levier essentiel. Les organisations publiques doivent tendre vers un modèle d’organisation plus ouvert, laissant plus de place à la co-construction, au partage de responsabilités, à la capacité des agents à entreprendre et expérimenter… Plusieurs enjeux en découlent. Premier enjeu : former les cadres de la fonction publique à ce nouveau paradigme managérial, leur donner les moyens de conduire et d’accompagner les changements. Second enjeu, repenser les espaces et les outils de travail, en favorisant la transversalité, les interactions entre différents niveaux hiérarchiques et différents métiers, en décloisonnant certains lieux de travail pour encourager l’intelligence collective et le partage d’expérience, en s’appuyant davantage sur les apports du numérique. Troisième enjeu : accompagner les évolutions professionnelles et l’évolution des métiers du service public, en renouvelant en profondeur les parcours de formation des agents, à tous les niveaux.
C’est en se transformant de l’intérieur que les organisations publiques pourront mieux s’adapter à leur environnement, répondre aux attentes de leurs cibles, et ainsi mieux accomplir leur mission de service public. Fortes de ce constat, certaines se réorganisent afin d’intégrer leurs parties prenantes dans le processus d’élaboration de leurs politiques publiques ou de leur offre de service, dans une logique dite de « bottom up ». De nouvelles approches et de nouvelles méthodes se développent, faisant appel à la prospective, aux sciences comportementales, à l’intelligence collective, au prototypage, à de nouvelles formes de partage avec les acteurs privés ou associatifs… Encourageons et diversifions ces initiatives, qui donnent aux organisations publiques la capacité d’innovation et d’expérimentation dont elles ont besoin pour renforcer leur efficacité… et leur attractivité. Car l’administration a besoin de tous les talents pour se réinventer.
On ne peut que se réjouir, à l’instar de Nicolas Hulot préfaçant l’ouvrage du Directeur général de la MAIF Pascal Demurger[1], que les entreprises privées se responsabilisent, s’engagent en faveur de l’intérêt collectif et replacent l’humain au cœur de leurs préoccupations. Pour renforcer ce mouvement, le secteur public doit réaffirmer son leadership et son rôle de chef de file en la matière. Non pas au travers d’une vision purement gestionnaire ou technocratique, non pas dans une logique calquée sur le modèle privé, non pas en mettant l’administration « en mode start up »[2], mais en mettant le sens et les agents au cœur de sa transformation.
Juliette Pernel Article publié dans la Revue Lab’Thazar en décembre 2019
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